BIOLOGIE SITUATION GESTION DU RAVAGEUR
Cette note a été rédigée par un groupe de travail réunissant des représentants de la Direction Générale de l'Alimentation - Sous-Direction de la Qualité et de la Protection des Végétaux (DGAl-SDQPV), du Centre Technique Interprofessionnel des Fruits et Légumes (CTIFL) et des stations régionales d'expérimentation.
Situation du ravageur Drosophila suzukii est un ravageur originaire d'Asie, qui connaît depuis 2008 une progression spectaculaire en Europe. Identifié en France officiellement en 2010, il cause des dégâts très importants sur de nombreuses espèces fruitières, notamment sur cerises et petits fruits rouges. Très polyphage, très mobile et à taux de reproduction très élevé, Drosophila suzukii est un ravageur redoutable, contre lequel aucune méthode de contrôle n'apporte à ce jour des résultats satisfaisants. En 2013, la présence de D. suzukii est confirmée sur tout le territoire et dans tous les pays frontaliers. Les dégâts les plus importants concernent la cerise, la fraise, les petits fruits
(framboise, mure et myrtille). Des dégâts sont aussi constatés sur pêche et abricot mais avec une importance économique bien moindre. D'autres cultures comme la pomme, la figue, la vigne, le kiwi et le kaki sont susceptibles d'être concernées et sont à surveiller.
Biologie Le cycle biologique de D. suzukii peut être très court (7 jours), et atteindre jusqu'à 13 générations par an notamment au Japon. Les femelles seraient fécondées avant la période hivernale, et passeraient l'hiver sous forme adulte dans divers refuges (zones abritées, bois, bosquets ). Les niveaux de population en sortie d'hiver semblent être liées aux conditions climatiques au cours de l'hiver : plusieurs jours voire semaines de froid intense semblent efficaces pour faire baisser les niveaux de populations. Les premières pontes ont lieu au printemps dès l'apparition des premiers fruits. Les populations de cette drosophile fluctuent en fonction des régions et des espèces végétales hôtes présentes. Le niveau global des populations augmente très fortement jusqu'à l'automne avec des fluctuations au cours de l'été dues aux conditions climatiques (chaud, sec ). En conditions sèches les captures diminuent fortement, mais il n'est pas possible actuellement de savoir si la population elle-
même chute ou si il s'agit seulement d'une période où l'insecte de déplace moins et est donc moins capturé. Globalement il semble se dégager trois types de situations :
- Cycle de développement avec 1 seul pic unique de vol à l'automne (régions dans lesquelles l'hiver rigoureux permet de diminuer fortement les populations en sortie d'hiver)
- Cycle de développement avec 2 pics de vols au printemps et à l'automne
(régions où les populations en sortie d'hiver sont importantes du fait d'un hiver doux et diminution des températures en été en conditions chaudes et sèches).
- Cycle de développement avec 3 pics de vol. même situation que précédemment avec des entrées maritimes qui permettent de conserver une certaine humidité en été. La pression de l'insecte est très liée à l'environnement de la parcelle. Sa répartition au sein d'une petite région et au sein de la parcelle n'est pas homogène ni régulière dans l'espace et dans le temps, ce qui rend la lutte très difficile. La présence de plantes sauvages comme les mûres ou le sureau dans l'environnement des parcelles en production favorise le développement de l'insecte.
Aspects réglementaires Le niveau élevé de dégâts constatés sur les différentes espèces fruitières concernées et sa capacité invasive en font un organisme nuisible préoccupant au niveau national et européen. Au niveau européen, D. suzukii est inscrit en liste A2 de l'Organisation Européenne et Méditerranéenne pour la Protection des Plantes (OEPP). Cet organisme n'est cependant pas listé dans la directive 2000/29/CE du 8 mai 2000. Au niveau national, l'insecte est un organisme listé en annexe B de l'arrêté du 31 juillet 2000 au titre des organismes nuisibles de liste A2 de l'OEPP. Au vu de la forte dispersion d'ores et déjà constatée de l'insecte en France, et en
l'absence de stratégie possible d'éradication, il n'apparaît pas raisonnable de rendre la lutte contre ce ravageur obligatoire (aucun arrêté préfectoral ne définit cet organisme comme organisme nuisible de lutte obligatoire). Cet organisme doit être géré comme un organisme de qualité, la surveillance doit être réalisée à travers les réseaux nationaux d'épidémiosurveillance.
Suivi des populations La mise en évidence de la corrélation entre les niveaux de piégeage réalisés sur une parcelle et les dégâts est difficile et ne permet pas d'anticiper l'apparition des premiers dégâts par le piégeage. L'identification de l'insecte nécessite une observation minutieuse sous loupe binoculaire compte tenu de sa grande similitude à de nombreuses autres espèces de drosophiles. Son identification précise repose sur différentes caractéristiques morphologiques qui doivent impérativement être observées (cf. clef de détermination sur www.fruits-et-legumes.net). En cas de difficultés relatives à l'identification, contactez les animateurs de vos réseaux Surveillance Biologique du Territoire (SBT).
Néanmoins la pose de pièges dans les parcelles de production associée à des observations régulières des fruits permettent de détecter le début du vol et de déclencher si nécessaire la mise en œuvre de moyens de lutte. Un piège de fabrication artisanale (bouteille plastique transparente rouge ou jaune), contenant un mélange de ½ vinaigre de cidre et ½ eau convient parfaitement pour le suivi de D. suzukii.
Stratégies de protection Mesures prophylactiques Tout doit être fait pour éviter la pullulation de l'insecte dans les cultures. Depuis deux ans nous constatons que la mise en œuvre des mesures prophylactiques améliore la situation en cultures. Il est donc recommandé de : Ne pas trop espacer les cueillettes des cultures à récolte étalée (au minimum deux récoltes/ semaines en fraise et framboise) . Les fruits à pleine maturité sont plus exposés aux pontes de D. suzukii. Il faut être vigilant dès les premiers fruits matures, et observer régulièrement les fruits pour détecter d'éventuels dégâts. Veiller à la bonne aération des cultures (nettoyage régulier des vieilles feuilles sur fraisier, éclaircissage des latérales basses excédentaires et limitation du nombre de cannes/mètre linéaire sur framboisier, taille des arbres adaptée, maintien de l'enherbement bas). Tout ce qui favorise
l'humidité et l'hygrométrie dans la culture doit être évité. Ne pas laisser de fruits en sur-maturité ou infestés sur le plant ou tombés au sol. Ces déchets sont à évacuer des parcelles de cultures et détruits régulièrement au moment de la récolte. Ils peuvent être mis en sacs ou containers hermétiques et laissés quelques jours au soleil. L'enfouissement des fruits n'est pas efficace.
Raisonner la lutte phytosanitaire Sur certaines cultures basses, des méthodes alternatives de protection par filets pourront être envisagées dans les parcelles où l'insecte n'est pas présent avant la mise en place du filet. La maille devra être adaptée en fonction du type de protection choisi. Les techniques de piégeage massif actuellement travaillées en expérimentation ne sont pas validées
(manque d'efficacité avec le matériel disponible actuellement) mais le piégeage massif associé à d'autres techniques pourrait présenter un intérêt. Si cette méthode est mise en place, il faudra prendre en compte la présence des haies et zones boisées proches de la parcelle, qui constituent une source d'inoculum. Un piégeage dans ces zones en sortie d'hiver pourrait avoir un intérêt. Les extraits d'ail utilisés dans certaines cultures comme répulsif n'ont pas montré d'efficacité dans deux essais conduits sur fraise en 2013. Pour toutes les cultures, un réseau de piégeage est indispensable au raisonnement de la lutte. A court terme la lutte chimique peut permettre de limiter les attaques de D. suzukii, mais les possibilités importantes de mutation de cet insecte risquent de favoriser les phénomènes de résistance. De plus l'utilisation répétée d'insecticides à large spectre, toxiques sur les auxiliaires, est un handicap au développement de la production intégrée. Cerise Sur cerisier, depuis 2010, les produits utilisés contre la mouche de la cerise sont évalués quant à leur efficacité sur D. suzukii. Les produits à base de thiaclopride et d'acétamipride ne permettent pas de contrôler le ravageur. Les produits à base de diméthoate et de phosmet apparaissent être les plus efficaces (50 à 95% d'efficacité suivant les essais). Les produits adulticides semblent présenter un certain intérêt si intégrés dans un programme de traitement. Les pyréthrinoïdes sont plus efficaces que les produits à base de spinosad et de spinetoram. D'autres molécules
sont à l'étude. En vergers, l'application d'insecticide sur les fruits non récoltés est déconseillée sauf dans le cas des vergers multi variétaux en cours de récolte ou l'intégralité du verger doit être traitée. Framboise Mûre Aucun produit n'est actuellement autorisé sur ces cultures pour la lutte contre D. suzukii. Les expérimentations sont en cours. Des dossiers d'AMM de produits sont en cours d'instruction. Myrtille Des dégâts très significatifs sont signalés depuis 2011. Dans les zones de production de myrtille l'environnement naturel des parcelles
(Rubus sauvage) est souvent attractif pour l'insecte. Cassis/Groseille Pas de dégâts observés ce jour, il convient toutefois de rester vigilant, notamment dans les zones où l'environnement est plus favorable au ravageur. Fraise Avant d'envisager toute application de produits phytopharmaceutiques à large spectre (ex : à base de pyréthrinoïdes), il faut rappeler que ce type de stratégie de lutte est incompatible avec la protection biologique et intégrée. Ces produits entraînent la disparition de la faune auxiliaire spontanée ou introduite, leur longue persistance compromet les équilibres biologiques. Les tests d'efficacité réalisés depuis 2011 ont montré l'effet choc de la lambda cyhalothrine, mais cet effet est fugace
(remontée des dégâts une semaine après traitement). La disparition de la faune auxiliaire induit rapidement de fortes attaques des autres ravageurs (thrips, acariens, ). Dans un contexte de populations de Drosophila suzukii bien installées, les efficacités des produits à base de thiaclopride et de spinosad sont insuffisantes. Les produits à base de spinosad efficaces sur thrips sont à réserver sur ce ravageur. Sur fraise la longue période de risque (au moins 6 mois) augmente les risques d'apparition de résistances, des produits à base d'autres substances actives testées en Europe sont expérimentés. Compte-tenu des observations réalisées depuis 2011, il est primordial d'intervenir dès la détection et la détermination des premiers adultes de Drosophila suzukii dans la culture.